Tout le monde l'appelait Margot

Les obligations du service militaire l’ont amené dans un coin de Bretagne. La pluie et le froid l’ont quelque peu désorienté, lui l’enfant de la Martinique et du Vauclin, plus habitué au soleil qu’aux parapluies. Les buts qu’il claque avec ses copains bidasses font du bruit et arrivent jusqu’aux oreilles de René Cedolin, alors entraineur du Stade Rennais, qui l’invite à venir faire un essai. Marguerite reste trois mois au stade du Parc de la route de Lorient, le temps de semer la panique dans les défenses du groupe Ouest de troisième division. Des nouvelles de sa mère malade en Martinique et la mélancolie du ciel poussent Marguerite à couper court à l’expérience et à retourner vers les Antilles.

« Je continuais à envisager une carrière de footballeur pro. Je n’ai jamais eu d’autres objectifs. Mes camarades m’y poussaient, mais j’avais vu à Rennes qu’il me fallait travailler la condition physique surtout. Je me levais tous les matins à quatre heures et je partais faire des footings avec mon ami Daniel Lubin (qui joua à Toulon). Le football à la Martinique est très différent que celui pratiqué en métropole. Ici les joueurs sont plus spectaculaires, plus techniques mais pas physiques » se souvient-il.

Par l’intermédiaire de Charles Alfred, le Nîmes Olympique entre en contact avec ce Gilbert Marguerite qui n’a pas encore 20 ans. « J’ai demandé à Monsieur Charles Alfred s’il faisait beau à Nîmes. Il m’a assuré que oui, c’est ce qui m’a décidé à accepter cette offre. Je ne crois pas que je serais allé à Lille où à Quimper. Le soleil, c’est important pour moi ». Bien que courtisé par Monaco ou Lens, Firoud ne veut pas le perdre et envoie Landi le récupérer.

Voilà Gilbert à Nîmes, qui signe son contrat le 16 juillet 1975 en compagnie de Charles Filin (Fort de France). L’antillais doit travailler dur. Hubert Mazurier se souvient : « Au municipal pour qu’il se renforce athlétiquement, je le faisais rentrer dans le mur attenant au vestiaire. Il faisait ça des vingtaines de fois pour qu’il s’endurcisse au contact ». Richard Ruffier, lui, se souvient des entrainements spécifiques prodigués par Luigi Landi : « Il fallait jouer épaule contre épaule et Luigi me demandait de ne pas faire de sentiment dans le jeu aérien. « La fleur » (surnom donné à Marguerite) était souvent mon sparing-partner et une fois je l’ai envoyé à cinq mètres au contact ». Pour Marguerite la période est compliquée : « Pendant un an et demi j’ai connu des moments délicats. Je me disais « tous les antillais passent pas là » et je m’efforçais à garder le moral. Mais je pensais à ma famille, à mes parents malades et certains soirs je me demandais ce que je faisais ici. Quand le moral n’était pas là, la forme physique en pâtissait et je ne jouais pas très bien. En même temps une autre voix me disait : « Accroche toi, il faut travailler pour y arriver » ».

Gilbert se montre solitaire et revendique uniquement l’aide et les conseils de ses amis antillais que sont Kabile et Mith. Jean Claude Mith se souvient : « A l’entrainement, Firoud me demandait de m’occuper des avants centre afin de voir ce qu’ils avaient dans le ventre. Pour faciliter l’intégration de Gilbert, je lui donnais des consignes en créole pour qu’il me mette en difficulté et prouver sa valeur aux yeux de Kader Firoud». Il dispute la plupart des matchs avec la réserve qui joue en troisième division mais patatras, il se blesse au genou et doit se faire opérer des ligaments externes. « Je suis resté trois mois sur la touche. Moralement ce fut très difficile pour moi, j’avais le moral à zéro, je me sentais vraiment seul mais aussi bien Firoud et surtout Noel furent à mes cotés et très précieux pour moi».

L’antillais s’accroche et revient. Firoud le convoque pour jouer à Lens le 13 septembre et ainsi disputer son premier match en division 1 : « Ce jour là j’ai été très mauvais, mais je m’attendais pas à disputer le match, j’étais tout étonné de me retrouver dans l’équipe première. J’avais bien inscrit un but mais l’arbitre l’avait refusé. C’était un jour de malchance. Firoud à été très complaisant, il ne m’a pas enterré et m’a redonné ma chance plus tard ». Marguerite sera remplacé à l’heure de match par Denis Mathieu.

Les méthodes de Kader Firoud sont contraires à l’esprit de Gilbert : « J’étais un joueur plutôt technique et Nîmes à l’époque opérait plutôt de façon physique. Kader Firoud nous disait : « Faut aller au charbon ». Moi ce n’était pas mon genre. Je ne réussissais pas tellement. Maintenant, je ne veux pas dire de mal de lui. Il m’a appris à me battre et m’a donné ma chance pour me faire évoluer dans mon jeu ».

Ses débuts à Jean Bouin se font le 4 octobre suivant contre le grand Saint Etienne. Profitant du forfait de Luizinho et du prochain départ de Félix pour Bastia, Marguerite est titularisé au poste d’avant centre. Ce soir là, les nîmois font le spectacle et battent les verts 2-0 (Girard et Dellamore). Gilbert manque de peu de mettre un troisième but à Curkovic. Sa puissante tête touche la transversale.

Il faudra attendre la saison suivante pour qu’enfin Marguerite marque son premier but. C’était le 23 mars 1977 contre Laval. Remplaçant en début de partie, il rentre à la soixantième minute et, à la 76ème, il inscrit son premier but en 1ère division. L’idylle avec le public nîmois commence.

La saison suivante, celui que Jean Bouin surnomme « Margo» est coché plus régulièrement sur les feuilles de match (23 matchs pour 14 buts). Son éclosion coïncide avec la nomination d’Henri Noel au poste d’entraineur en lieu et place de Kader Firoud : « Le style de jeu me plaisait davantage. Plus tourné vers l’attaque ; on attaque, on défend, le jeu est plus agréable et Henri a su créer une ambiance différente entre tous les joueurs. Il y avait une véritable dynamique et moi j’étais plus en confiance avec un moral extraordinaire ».

Il faut dire que « Margo», comme bon nombre d’avant centre, marche au moral. Il claque des buts dans toutes les positions et le public de Jean Bouin trouve son chouchou. La chanson « Si tu veux faire mon bonheur, Marguerite, Marguerite…. » résonne encore dans toutes les mémoires. Mais le public nîmois n’a pas encore tout vu. Margo lors de la saison 78/79 est le premier français (avec Pecout) à se classer derrière les goléadors que sont Bianchi et Onnis au palmarès des meilleurs buteurs. Les medias s’intéressent à lui et il fait la une de « Téléfoot » et de « France Football ». Il termine la saison avec 21 buts inscrits (+ 1 en coupe) dont 1 triplé contre Bordeaux à Jean Bouin et 3 doublés. Daniel Sanlaville se souvient de la célébration des ses buts dont un match à Montpellier en Coupe : « Nous jouons au printemps 1977 les 16ème de la coupe de France contre Montpellier. A l’aller nous gagnons 3-0 (Luizinho 2 – Dussaud). Au match retour à Montpellier, Firoud décide de faire tourner l’équipe et aligne quelques jeunes ou réservistes (Champ, Mansouri, Laffont, Sabatier). Au bout de trente minutes nous sommes menés 2 – 0 (Besson – Valadier). Je réduis le score avant la mi temps. Firoud nous secoue et nous remontons au score par un doublé de Margo. Margo marque le but de la victoire à la 88ème. Pour fêter ce but, il fait une pirouette (à la sud Américaine) sauf qu’il retombe sur le dos et il a fallu l’amener à l’hôpital où il resta en observation ».

Margo et ses grigris entretiennent la légende. Miguel Lozano son co-équipier de l’époque raconte : « Il était réservé, plutôt solitaire mais il était aussi un grand superstitieux. Lorsqu’il y avait la distribution des maillots dans le vestiaire, selon le joueur qui se trouvait à coté de lui sur le banc, il changeait de place pour conjurer le mauvais sort. Il avait aussi un tic, il sortait toujours le dos tourné au couloir qui menait au stade, un jour il s’embroncha et tomba le cul par terre ». Il y avait aussi ses bandages ou ce short porte bonheur. Roland Decilia raconte : « Il mettait des bandages sur les cuisses, mais nous ne savions pas vraiment à quoi ça lui servait. Il prenait le sparadrap sur une longueur, il l’enroulait autour des ses cuisses à deux endroits différents mais ça ne servait à rien ». Le fameux short non lavé n’était pas une légende de Jean Bouin : « Ca faisait partie du personnage. A l’époque nous avions un short pour la saison. Lui vivait seul et un jour il a du le faire bouillir, si bien que le short se délava et tourna au rose. Du coup entre les superstitions et le coup de la machine, il n’a plus lavé son short » affirme Guy Dussaud, avant d’ajouter : « Je partageais sa chambre à Nice et avant de dormir, il faisait le tour de la chambre pour regarder s’il n’y avait pas de mauvais sort dans la chambre ».

Bruno Dévot souligne : «La fleur était un homme très gentil mais aussi discret et solitaire. Il ne se mêlait pas avec tous, mais c’était un garçon qui ne faisait pas de vague », avis partagé par tous les joueurs. Ces amis profitant de son coté naïf pour lui faire quelques farces : « Il se plaignait qu’il y avait trop de moustiques. Nous lui avons conseillé de mettre des tablettes « Vapona » dans ses chaussettes. Le lendemain il arriva aves ses tablettes répulsives dans ses chaussettes » rajoute Roland Decilia.

La saison 80/81 est la dernière pour Margo sous le maillot rouge. Il marque 8 buts et ses performances irrégulières sont à l’image de l’équipe qui sera condamnée à la D2 en fin de saison. Le buteur part vers Nice, puis Montpellier et à nouveau Nice avant de finir sa carrière à Dunkerque puis Hyères où il sera engagé comme intendant à l’hôpital.

Margo reste dans le cœur des spectateurs du Nîmes olympique et avec 72 buts marqués, toutes compétitions confondues, il demeure le sixième goléador de l’histoire de Jean Bouin derrière les Akesbi, Rahis, Rouvière, Cubaynes et Vergnes.

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Stanislas Golinski
Stanislas Golinski
Stanilas Golinski quand il avait 80 ans, toujours fidèle à Nîmes
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