Ce mariage entre l’ambitieux promu de première division (D1) et l’enfant terrible du football français a fait naître des promesses de bonheur. Mais rien ne s’est passé comme prévu et le couple s’est séparé après six mois de vie commune. Trente ans plus tard, les témoins de cette idylle se souviennent de Cantona le joueur, mais aussi l’homme entier et attachant. Retour sur une association qui aurait pu être grandiose entre les Crocodiles et celui qui deviendra la future idole de Manchester United.

C’est la stupéfaction dans les tribunes du stade des Costières ce 7 décembre 1991. Il est un peu plus de 22h et l’incroyable vient de se produire. Contestant une décision arbitrale de Jean-Pierre Blouet, le Crocodile Éric Cantona entre dans une colère noire et propulse le ballon sur l’arbitre. Comprenant la portée de son geste, le capitaine du Nîmes Olympique quitte le terrain avant même que l’arbitre ne sorte le carton rouge. Logique. Ainsi prend fin l’éphémère passage nîmois de l’enfant terrible du football tricolore. On ne le verra plus jamais porter les couleurs d’un club français.

Une contrat de trois ans pour un transfert à 10 millions de francs

Pourtant, six mois plus tôt, tant d’espoirs naissent avec l’arrivée de la star. Le 6 juin 1991, le Marseillais Éric Cantona signe un contrat de trois ans avec le Nîmes Olympique pour une somme de 10 millions de francs, dont le paiement est étalé sur trois ans. Le club italien de Vérone fait une offre de dernière minute à 15 millions de francs, mais Bernard Tapie, le président de l’OM, respecte jusqu’au bout la parole donnée aux dirigeants nîmois. Il se dit que l’AS Cannes et le PSG étaient aussi sur les rangs. L’arrivée de Cantona dans le Gard fait sensation.

À la fin de la saison 1990-91, qui a vu les Crocodiles remonter en D1 après sept saisons en D2, le Marseillais est régulièrement présent au stade des Costières et il est même dans les vestiaires le soir de la montée face au Gazelec d’Ajaccio (0-0, 4 mai 1991). Sa venue dans le Gard est attribuée à son amitié avec Michel Mezy. C’est peut-être aussi parce que l’attaquant de l’équipe de France ne rentre pas dans les plans de Raymond Goethals, le coach de l’OM. « Quand il a signé à Nîmes, j’ai vite compris que j’allais être associé à lui en attaque. Avec un tel joueur, on apprend beaucoup de choses en match, mais aussi à l’entraînement. C’est avec lui que j’ai fait ma meilleure saison. C’était une bonne personne et il était généreux », explique Ahmed Maharzi, l’attaquant formé au Nîmes Olympique.

« Dans les deux ou trois ans, Nîmes deviendra un des cinq meilleurs club français » 

« J’ai signé à Nîmes pour les supporters, pour cette ville que j’aime. J’aurais pu aller ailleurs, mais j’ai ressenti un truc, quelque chose qui m’appelait à Nîmes. À Nîmes, j’ai l’ambition de faire plaisir à ceux que j’aime. Je dis que, dans les deux ou trois ans, Nîmes deviendra un des cinq meilleurs club français », déclare le nouveau Crocodile à nos confrères de France Football en juin 1991. De son côté, Michel Mezy, le président délégué du NO, ne boude pas son plaisir : « Éric Cantona aime les taureaux, il aime la féria. Il aimera Nîmes et les Nîmois l’aimeront. » Un début d’été très sentimental. Seulement, en football, on ne vit pas d’amour et d’eau fraîche. Pour maintenir son train de vie, le NO bénéficie de 7,4 millions de francs d’aide du conseil général du Gard, présidé par Gilbert Baumet.

Les dirigeants nîmois font un joli coup médiatique avec l’arrivée de l’ancien Montpelliérain et ils souhaitent l’associer avec Stéphane Paille, l’attaquant français du FC Porto. Des noms clinquants enrichissent les rumeurs estivales du mercato gardois : les Marseillais Gaétan Huard, Bernard Pardo et Laurent Fournier, les Bordelais Didier Sénac et Didier Deschamps ou encore le Monégasque Claude Puel sont annoncés avec plus ou moins de sérieux. Sur le papier, le recrutement nîmois est séduisant avec William Ayache (OM), Michel Catalano (Auxerre), Jean-Claude Lemoult (Montpellier), Dusan Tittel (Slovan Bratislava), Philippe Vercruysse (OM) et, bien sûr, Éric Cantona (OM).

« Il n’avait pas peur de dire ce qu’il pensait »

Après sept ans en deuxième division, Nîmes Olympique en veut pour son argent. Mais il ne suffit pas d’aligner des noms pour faire une grande équipe. Sans objectif vraiment assumé, le NO doit d’abord s’acquitter du maintien en D1. Dans le groupe, Cantona est apprécié pour ses valeurs humaines : « Je faisais chambre commune avec lui et je venais d’acheter la nouvelle console Nintendo avec deux jeux, se souvient l’ancien Crocodile, Alain Espeisse. Un jour, Éric est arrivé avec la même console mais des centaines de jeux et nous en avons profité. Quand on sortait, il payait pour tout le monde. C’était un vrai bon mec et il n’avait pas peur de dire ce qu’il pensait. »

Avec l’équipe de France de Michel Platini, Éric Cantona participe aux éliminatoires de l’Euro 92 avec succès puisqu’il gagne en Espagne (2-1) et face à l’Islande (3-1). Au soir de la 20e journée, les Crocodiles sont 15e avec trois points d’avance sur Lyon, le barragiste (à cette époque la victoire rapportait deux points, Ndlr). Rien d’infamant pour un promu, mais un peu décevant quand on compte dans ses rangs Cantona et Vercruysse. En cette fin d’automne 1991, c’est l’AS Saint-Étienne qui se présente devant les 12 405 spectateurs du stade des Costières. En cas de victoire, les Nîmois ont la possibilité de repasser dans la première moitié du classement, mais en cas d’échec les relégables pourraient bien se rapprocher.

« Quand j’ai vu le ballon atterrir sur l’arbitre, je me suis dit : 'On est dans la merde' »

Le match est tellement attendu que les joueurs de René Girard s'isolent en faisant une mise au vert à Méjannes-le-Clap. Pour affronter l’ASSE, Éric Cantona et William Ayache font leur retour, mais pas Philippe Vercruysse, toujours blessé. Sur le terrain, encore une fois, les plans nîmois ne fonctionnent pas. Quant aux Stéphanois, ils annoncent la couleur : Jean-Pierre Cyprien est expulsé après une agression sur Gérard Bernardet, qui se relève mais termine à la clinique (pour une double-entorse de la cheville gauche, Ndlr) après un tacle musclé de Christophe Deguerville. Il reste moins de dix minutes à jouer, les Verts mènent 1-0. Les supporters nîmois s’impatientent et sifflent leur équipe.

Les yeux se noircissent et les semelles s’électrisent. C’est alors qu’à la lutte avec le Stéphanois Thierry Courault, Éric Cantona est sanctionné d’une faute. Se sentant injustement puni, il exécute le geste qui sera son dernier avec un club français. « Quand j’ai vu le ballon atterrir sur l’arbitre, je me suis dit : ''on est dans la merde'' », se souvient Antoine Sauli, le patron de Catavana qui était alors le sponsor principal des Crocodiles. L’international français est comme possédé. Il fulmine et jette le ballon sur l’arbitre, puis quitte la pelouse sans se retourner. Les Nîmois terminent la rencontre sans lui et égalisent à la dernière minute par William Ayache.

« J’ai utilisé quelques ficelles et quelques artifices pour le faire disjoncter »

Mais l’ancien Nantais n'est pas le héros de la soirée car pendant ce temps-là, dans les vestiaires, Éric Cantona ne décolère pas : il se sent victime de l’esprit querelleur de ses contemporains. Il est alors en présence de Jean-Pierre Vaillant, le secrétaire général du NO, qui a la difficile mission de canaliser le joueur : « Il était en colère et je faisais tout pour qu’il ne sorte pas des vestiaires car je savais qu’il pouvait aggraver son cas. Je me suis assis devant la porte pour lui barrer la route. Il s’est approché de moi et il m’a dit : "Allons monsieur Vaillant vous n’allez pas m’obliger à vous pousser ?" C’est quelqu’un que j’aime beaucoup et il a toujours été courtois avec moi. Ce soir-là, je n’ai pas insisté. »

Malheureusement les craintes de Jean-Pierre Vaillant sont fondées. Alors que les joueurs entrent dans les vestiaires, Cantona règles ses comptes avec Sylvain Kastendeuch qu’il accuse d’avoir pourri le match. Des faits que ne conteste pas l’intéressé dans un reportage tourné en 2018 par Canal+ : « J’ai utilisé quelques ficelles et quelques artifices pour le faire disjoncter. » C’est la cohue dans le couloir et les Stéphanois crient « Aux voyous ! » Quatre jours plus tard, la commission de discipline de Ligue nationale de football suspend Cantona pour quatre rencontres. Il ratera les matches contre Lens, Auxerre, Nantes et Marseille, un moindre mal au vu de la soirée.

Suspendu, il résilie son contrat et annonce mettre un terme à sa carrière

Mais à l’énoncé de la sanction, Éric Cantona insulte les membres de la commission. Cette fois, il est suspendu deux mois qui lui feront manquer huit rencontres. Cantona l’insoumis annonce qu’il met un terme à sa carrière et, le 16 décembre, il résilie son contrat avec le Nîmes Olympique. Quelques semaines plus tard, l’avant-centre décide de se relancer en Angleterre à Sheffield Wednesday, puis Leeds United et enfin Manchester United pour y connaitre la réussite que l’on connaît. À la fin de la saison 1991-92, Nîmes Olympique se maintient en D1, mais est relégué en D2 l’année suivante.

Trente ans plus tard, Michel Mézy analyse cet échec sportif : « J’aurais préféré qu’il soit bon sur le terrain. Éric ne supportait pas quand il estimait une situation injuste. Mais Nîmes Olympique n’a pas perdu d’argent et on l’a vendu autant que ce qu’il nous a coûté. » Le temps passe, mais les regrets restent... On ne peut pas s’empêcher d’imaginer ce qu’aurait donné un mariage réussi entre Canto et le NO. Ils étaient faits, c’est certain, pour réaliser des grandes choses ensemble. Finalement, le bilan de Cantona avec Nîmes est de 16 matches, deux buts (sur pénalty) et la plus fracassante des sorties. Il aurait pu être le roi des Costières, il sera finalement le King d'Angleterre.

Norman Jardin

Le match

20e journée de première division (samedi 7 décembre 1991) Stade des Costières. NÎMES OLYMPIQUE – AS SAINT-ÉTIENNE 1-1 (mi-temps : 0-1). Spectateurs : 12 405 (recette 930 850 francs). Arbitre : M. Blouet. But pour Nîmes : Ayache (90e). But pour Saint-Étienne : Mège (43e). Avertissements à Nîmes : Bernardet (16e) et Touron (51e). Avertissements à Saint-Étienne : Courault (35e) et Chaintreuil (49e). Expulsion à Nîmes : Cantona (83e). Expulsion à Saint-Etienne : Cyprien (16e).

Nîmes : Perez – Catalano, Tittel, Garcin, Touron – Lemoult, Ayache, Espeisse (F. Arpinon, 46e), Bernardet (Sirvent, 58e) – Cantona, Maharzi. Entraîneur : René Girard.

Saint-Étienne : Bell – Deguerville, Kastendeuch, Cyprien, Courault – Bouquet, Mège, Chaintreuil, Haon – Cuervo, Moravcik. Entraîneur : Christian Sarramagna.


Eric Cantona. Image Pinterest.

Eric Cantona. Crédit photo Pinterest.

Il restera dans les mémoires comme le Eric Cantona. joueur le plus cher du Nîmes Olympique, et le moins prolifique. Cantona, c'est un transfert de 10 millions de francs payé par des fonds publics pour 17 matchs...et deux buts. Une histoire qui se terminera par la condamnation de Jean Bousquet pour abus de bien sociaux. La ville s'en souvient encore.

1991. Quel doux rêve enfin réalisé, celui de voir l'équipe première de la ville refaire surface en Division 1, après 10 ans d'absence. Arrivé à la tête du club en 1982, le patron de Cacharel Jean Bousquet affiche clairement ses ambitions, personnelles et politiques. Elu maire l'année d'après, puis député en 1986, il fait construire un nouveau stade de 18 000 places assises pour un coût de 160 millions de francs. Grandeur et décadence, nostalgie d'une époque faste, à l'image d'un personnage public de haut vol faisant jouer ses nombreuses relations personnels dans l'industrie, la mode, la politique, et désormais le football, pour appâter sponsors et grands joueurs. Jorge Dominguez, Tom Lokhoff, John Mac Donagh, Cristen Nygaard, Philippe Vercruysse, Roger Van Gool, José Cucciuffo, William Ayache, Vincent Bracigliano, Laurent Blanc, Eric Cantona. Tous ont porté le maillot rouge et blanc orné du blason au crocodile. Mais pour le dernier, qui n'est pas encore surnommé "Eric The King" dans son hexagone, la saison sera courte.

Alain Espeisse : "Avec Eric, j'ai rencontré un Monsieur"


Alain Espeisse. Carte panini. DR

Alain Espeisse. Carte panini. DR

10 millions de francs, c'est le montant du transfert payé par le club pour s'octroyer les services d'Eric Cantona. Son salaire : 280 000 francs par mois. Des montants colossaux pour l'époque, rendu possible grâce aux fonds publics de la ville débloqués par le maire Jean Bousquet, qui laisse sa place de président du club à Michel Mezy, du moins sur le papier. Arrivé de l'Olympique de Marseille, Cantona est sollicité par des clubs comme l'OL ou le PSG, mais à la surprise générale, c'est avec un promu qu'il signe, le Nîmes Olympique, qui fait son retour parmi l'élite. À ses côtés, Philippe Vercruysse ou William Ayache forme un effectif rêvé. "J'ai rencontré Eric parce qu'on partageait nos chambres. J'étais l'un des premiers à avoir la Nintendo, on jouait à Mario Bros. C'était un super mec, il arrivait au restaurant en disant "c'est tout pour moi". J'ai rencontré un Monsieur" se souvient Alain Espeisse, milieu de terrain du Nîmes Olympique de 1982 à 1993.

Un rêve de courte durée

Les six premiers matchs de Canto sous les couleurs de Nîmes Olympique sont peu réjouissants : 4 matchs nuls et 2 défaites, suivis par une blessure à la cuisse qui le rend indisponible pendant un mois. Sans lui, les crocos ne font pas mieux et se retrouvent même à la 19 ème place du championnat, en avant dernière position. C'est le fiasco. En coulisse, on voit rouge. Petit lot de consolation lorsque Eric fait son retour et marque....sur penalty contre Lille. Victoire 1 à 0. Puis, cinq défaites successives contre le PSG, Rennes, Toulon, Caen, Metz. "Canto" perd les pédales et commet un coup d'éclat, le premier d'une longue série tout au long de sa carrière, lors d'un match contre l'AS Saint-Etienne. En jetant le ballon au visage de l'arbitre, il récolte un carton rouge et quatre matchs de suspension par la FFF qu'il traite "d'idiots". La sanction est ramenée à deux mois de suspension. Sanguin et impulsif, Cantona réagit en résiliant son contrat avec le club gardois, prétextant prendre sa retraite sportive à seulement 25 ans. Pour ne pas léser le Nîmes Olympique, il fait un premier chèque de deux millions de francs au club avant de rebondir en Angleterre à Leeds. Le club britannique participera aussi à rembourser une part au club gardois.

La suite on la connait : Leeds, puis Manchester, Cantona renait de ses cendres et devient The King, mais laisse derrière lui un royaume à feu et à sang. Le Nîmes Olympique ne se remettra jamais de cette perte financière. Sur le déclin, l'année d'après est synonyme de descente en ligue 2, puis en national. Le chapitre de la Division 1 est, depuis, enterré.


Image d'archive de Jean Bousquet et Norman Foster. DR

Image d'archive de Jean Bousquet et Norman Foster. DR

Quelques années plus tard, la justice rattrapera Jean Bousquet, poursuivi pour ingérence et abus de biens sociaux. D'abord, pour avoir bénéficié de décembre 1990 à mars 1994 du gardiennage de sa propriété de 150 hectares pour un montant des prestations de 1,35 million de francs, payé par la mairie de Nîmes par le biais de fausses factures. Ensuite, pour avoir bénéficié des services de deux employés de Cacharel à des fins personnels. Et pour finir, l'entrepreneur en charge de travaux sur le Carré d'Art - qu'il a lui même fait construire - l'accuse de l'avoir contraint à verser un pot-de-vin de 900 000 francs au Nîmes Olympique pour éponger les dépenses faramineuses. Condamné à un an de prison ferme en décembre 1996, il s'en sortira avec du sursis.

Baptiste Manzinali

FRANCE FOOTBALL DU 21 01 2016
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Stanislas Golinski
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Stanilas Golinski quand il avait 80 ans, toujours fidèle à Nîmes
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