Michel Platini : « J’admirais Mezy, Adams et Vergnes »
Le 2 mai 1973, lors de la rencontre AS Nancy – Nîmes Olympique, s’ouvrait une des plus belles pages de l’histoire du football français. Si le contenu de ce match, pourtant important dans la course à l’Europe, n’est pas resté dans les annales, il marque les débuts professionnels de Michel Platini. Un demi-siècle plus tard et après avoir vécu une carrière unique, le célèbre numéro 10 nous a reçus dans sa retraite à Cassis, pour évoquer ses débuts face aux Crocodiles de Kader Firoud mais aussi l’évolution du football. Rencontre avec une légende.
Objectif Gard : Comment avez vécu ces cinquante dernières années ?
Michel Platini : Je les ai passées et je crois même que je les ai bien passées. Mais si vous ne me l’aviez pas fait remarquer, je ne me serais pas rendu compte qu’un demi-siècle s’était écoulé.
Vous souvenez-vous du match de vos débuts lors de ce Nancy – Nîmes ?
Je me souviens du moment, mais pas du match dans le détail. Il y a quand même des choses qui me reviennent et bien sûr que c’était contre Nîmes, une équipe très douce, très romantique (rire). J’ai relu un vieux compte-rendu de la rencontre et mon nom n’est jamais mentionné. Je n’ai pas dû faire un bon match. Mais huit jours plus tard, j’ai joué contre Lyon et j’ai réussi deux buts et deux passes décisives.
Que représentait Nîmes Olympique pour le jeune joueur que vous étiez ?
J’admirais Michel Mezy, Jean-Pierre Adams et Jacky Vergnes. Je me souviens aussi de Landi, ce sont des joueurs qui ont marqué une époque et c’est normal qu’ils soient restés dans l’imaginaire des jeunes joueurs des années 70. En fait, je me rapelle plus des joueurs que de la rencontre à proprement parler. C’était pourtant un match important, un match dur à jouer.
Les Crocodiles avaient déjà une image d’équipe au jeu viril ?
On connaissait la réputation de ce club, de Kader Firoud jusqu’aux joueurs. J’entendais ce qui se racontait dans le vestiaire de Nancy, il y avait de belles histoires, de belles anecdotes et j’étais conscient de ce que représentait Nîmes. Nous savions que Kader Firoud savait motiver des joueurs comme Kabile et Boissier. C’était un football rugueux, surtout au stade Jean-Bouin. Là-bas, il y avait de sacrées personnalités.
Justement, parlez-nous de ces fameuses personnalités.
Michel Mezy était un très bon joueur et j’ai souvent joué contre lui. Il y avait aussi René Girard, avec lequel j’ai joué en équipe de France et avec le Variétés Club de France. Lui aussi, ce n’était pas un poète, il était formé à la bonne école nîmoise (rire).
Avez-vous des souvenirs du stade Jean-Bouin ?
Une année où Nancy jouait pour ne pas descendre en D2, je pars en contre-attaque et je me retrouve seul devant Landi. Je veux le dribbler, mais il me prend le ballon. Il restait cinq minutes à jouer, il y avait 1-1, et derrière, Nîmes marque et l’emporte 2-1. Là, je me suis fait pourrir par les vieux de mon équipe. Lors du match suivant, l’un d’entre eux a marqué contre son camp. Je ne lui ai rien dit, mais je l’ai bien gardé en mémoire.
Vous attendiez-vous à faire vos débuts lors de cette saison 1972-73 ?
Je suis arrivé à Nancy en 1972 et dès la première journée de championnat, à Valenciennes, je suis le 12e homme. À cette époque, il n’y avait qu’un remplaçant retenu sur la feuille de match. Cela s’est reproduit lors d’un match contre Marseille à Marcel-Picot.
Pourquoi a-t-il fallu attendre le fin du championnat pour vous voir débuter ?
Parce que je me suis cassé une cheville et je ne suis revenu que vers le mois de mars 1973. J’ai marqué des buts avec la réserve de Nancy en troisième division et je m’entrainais régulièrement avec les pros.
Quelles sont les raisons qui vous ont fait débuter ce 2 mai 1973 ?
J’ai remplacé Antoine Kuszowski qui était blessé. Il jouait ailier-gauche et il était aux portes de l’Équipe de France. Il y avait de très bons joueurs à Nancy. Je pense à Fouché, Lemerre, Herbet ou Flores, qui était champion du monde des clubs. Il y avait aussi Chenu et Vicq.
Et arrive le grand jour...
Oui et j’ai débuté au poste d’ailier-gauche avec le numéro 11. J’ai dû ressentir un peu d’anxiété avant ce match.
Comment se comportaient les joueurs expérimentés face à un jeune débutant de 17 ans ?
Je dirais que les footballeurs de cette époque étaient plus âgés que ceux d’aujourd’hui. Il y avait des vieux briscards comme Lemerre et Lopez à Nancy et Kabile à Nîmes. Le football était plus violent, et j’ai passé beaucoup plus de temps à l’hôpital que Messi, Ronaldo et M’bappé. À 23 ans, j’avais déjà dû faire un an d’hospitalisation.
Dans les années 1970, les jeunes joueurs pouvaient parfois nettoyer les crampons des plus anciens. Cela vous est-il arrivé ?
Non, c’est surtout en Angleterre que cela se pratiquait et puis à Nancy il faisait tellement beau qu’il n’y avait pas de boue (rire).
En 1976, il y a eu un match, resté dans les mémoires, entre Saint-Etienne et Nîmes au cours duquel deux Stéphanois (Farizon et Synaeghel) ont été blessés avant la finale de la Coupe d’Europe contre le Bayern. Comme beaucoup de français, à l’époque, en vouliez-vous aux Crocodiles ?
En 1976, vis-à-vis de la France du football, Nîmes ne pouvait pas se rendre sympathique. Je n’étais pas trop content de voir les Stéphanois blessés, et à l’époque, tout le monde aimait Saint-Etienne. Ce n’était pas comme aujourd’hui où certains n’aiment pas Paris ou Marseille. Il ne fallait pas toucher à l’ASSE, mais Nîmes a fait son match.
En 1989, le match d’inauguration du stade des Costières devait être France – Hongrie, mais quand vous devenez sélectionneur de l’équipe de France, vous changez le programme et c’est finalement France A’ – Pays-Bas A’ qui est choisi pour Nîmes. Vous en souveniez-vous ?
Non mais je me souviens de ce premier match au stade des Costières. J’avais mis Gérard Bernadet comme capitaine de l’Équipe de France A’, pour motiver certains anciens et ça me permettait de faire un peu tourner mon effectif. C’était un beau match à Nîmes.
Nîmes, Saint-Etienne et Nancy, des clubs qui comptaient dans les années 1970, sont aujourd’hui tombés en Ligue 2 ou en National. Que cela vous inspire-t-il ?
Nous ne sommes plus dans ce football que nous avons connu. Aujourd’hui, on est dans le football-business. Tu as de l’argent, tu as les clubs. Avant, on formait les joueurs et il y avait très peu de transferts. Désormais on forme pour vendre.
Existe-t-il encore de bons présidents de clubs dans le football français ?
Les hommes à la tête des clubs sont souvent des opportunistes. Ils sont avant tout là pour eux et pour se faire mousser. Parfois ça ne se passe pas très bien. Pour autant, je ne dirais pas que l’on manque de bons présidents et puis des nouveaux arriveront. Par contre, dans le passé, Molinari, Aulas, Bez, Nicollin et Calabro étaient là par passion et il n’y avait que du football avec eux.
Est-il devenu impossible de vivre le football uniquement par passion ?
Aujourd’hui c’est l’argent qui compte, et j’ai essayé de faire en sorte que le football ne devienne pas un business, mais le système est plus fort que moi. Il y aura toujours des gens qui mettront encore plus d’argent.
L’argent a-t-il tué le football ?
Non, mais le football professionnel n’est plus du tout le même que celui que l’on a connu. C’est le même jeu, mais ce ne sont plus les mêmes joueurs.
En cinquante ans, les joueurs sont-ils devenus plus athlétiques ?
Oui, ils sont formatés. Nous on rentrait dans des clubs professionnels à 16 ou 17 ans, mais aujourd’hui ils y rentrent à 10 ans. Nous à cet âge, on jouait seulement dans la rue ou dans la cour de l’école.
Si vous n’aviez pas réussi dans la football, quelle profession auriez-vous exercé ?
J’aurais été employé aux PTT ou gendarme. Dans ma région (La Lorraine, NDLR) il y avait les usines et les mines, mais tout a fermé dans les années 1970. Alors les cols blancs ont été recasés à Fos-sur-Mer et pour les autres il ne restait que les administrations ou la police nationale.
Votre trajectoire de footballeur a-t-elle été en danger à cette époque ?
Lors de ma première année à Nancy, je me suis cassé la malléole et comme je n’étais pas bon à l’école, mon précepteur a voulu me virer. Heureusement, mes parents, Albert Batteux et Roger Lemerre m’ont mis dans une école à mi-temps. Le matin je m’entraînais et l’après-midi j’apprenais la comptabilité. J’y retrouvais Olivier Rouyer et Jean-Michel Moutier.
Ce sont des amis que vous conservez un demi-siècle plus tard ?
Oui, après on ne se voit plus très souvent. À notre âge, beaucoup ont changé de famille, de femme, de lieu et d’emploi. On change de tout à notre âge (rire). Je suis toujours en contact avec Olivier, Jean-Michel et Paco Rubio. Mais aussi Patrick Battiston, Alain Giresse. Boniek, Marco Tardelli, Claudio Gentile, Dino Zoff.
On vous associe au numéro 10, mais aujourd’hui les joueurs choisissent parfois des numéro plus élevés. Les comprenez-vous ?
Oui, mais regardez, M’bappé a choisi le 10. Pelé et Maradona n’ont pas pris le 57 ou le 62. C’est Pelé qui a fait le prestige de ce numéro.
C’était votre idole ?
Oui, mais sans trop le voir jouer, jusqu’à la Coupe du Monde 1970. Avant on en parlait, et puis d’un coup, il était là, sur nos écrans.
D’autres noms vous faisaient rêver ?
Johann Cruyff était mon idole. Je l’ai vu jouer et j’aimais tout chez lui. C’était un combattant, avec un grande vivacité. Moi j’étais dans l’anticipation, mais je ne brillais pas dans les dribles comme Messi, Neymar, Baggio ou Maradona.
LE MATCH 2 mai 1973. 34e journée de D1. AS NANCY (5e) – NÎMES OLYMPIQUE (4e) 2-1. Stade Marcel-Picot. Mi-temps : 1-0. Arbitre : M. Martin. Spectateurs : 10 045. Recette : 162 732.50 francs. Buts pour Nancy : Woltrager (35e) et Flores (87e). But pour Nîmes : Vergnes (61e). Nancy : Fouché – Palka, Lopez, Lemerre, Raczinski – Vicq, Chenu – Herbet (Woltrager, 22e), Castronovo, Flores, Platini. Entraîneur : Antoine Redin. Nîmes : Landi – Boissier, Betton, Sanlaville, Kabile – Adams, Mezy – Boyron (Odasso, 46e), Pirmajer, Vergnes, Dell’Oste. Entraîneur : Kader Firoud.
MICHEL PLATINI
Né le 21 juin 1955 à Jœuf (Meurthe-et-Moselle). Poste : Milieu de terrain. Clubs : AS Jœuf (1966-71), AS Nancy (1972-79), AS Saint-Etienne (1979-82) et Juventus Turin (1982-87). Président de l’UEFA de 2007 à 2015. Palmarès : Ballon d'or : 1983, 1984 et 1985. Champion des champions français par L'Équipe en 1977 et 1984. Onze d'or : 1983, 1984 et 1985. Onze d'argent en 1977. Joueur de l'année World Soccer Awards en 1984 et 1985. Joueur français de l'année par France Football en 1976 et 1977. Meilleur buteur du championnat d'Italie : 1983 (16 buts), 1984 (20 buts) et 1985 (18 buts). Meilleur buteur de la coupe des clubs champions européens : 1985 (7 buts). Meilleur joueur du championnat d'Italie : 1984. Meilleur joueur du championnat d'Europe : 1984. Meilleur joueur de la coupe intercontinentale : 1985. Meilleur joueur du Mundialito des clubs (Coppa Super Clubs) : 1983. Chevron Awards : 1983 et 1985 (ratio buts / match). Nommé au FIFA 100 (liste des meilleurs joueurs vivants de tous les temps) en 2004. Membre de l'équipe mondiale du XXe siècle FIFA en 1998. Membre de l'équipe type du Championnat d'Europe de football 1984. Membre de l'équipe de France qui ai plus fort pourcentage de victoires (1984, 100 %). Plus grand nombre de buts dans une seule phase finale du championnat d'Europe. Plus grand nombre de buts dans un seul match de phase finale du championnat d'Europe. Joueur du siècle de la Juventus de Turin. Joueur français du siècle L'Équipe 2000. 4e meilleur buteur français de l'histoire toutes compétitions confondues (354 buts). 6e footballeur du siècle Football Family FIFA 2000. 7e footballeur du siècle International Federation of Football History & Statistics (IFFHS). 8e footballeur du siècle Placar 2001. Élu footballeur français du siècle par France Football en 1999. Élu meilleur joueur de toute l'histoire des bleus par France Football en 2004. Nommé dans la Dream Team FIFA en 2002.
Propos recueillis par Norman Jardin