http://www.footballmercato.net

Marc Roger, l'ancien agent star du football devenu compagnon d'Emmaüs

Marc Roger, ancien agent majeur des années 1990-2000, passé à deux reprises par la case prison, a décidé, à 59 ans, de donner un autre sens à sa vie en rejoignant la communauté d'Emmaüs.

 

Derrière sa vitre, dans une petite guérite imprégnée d'une odeur de tabac, Marc Roger, assis sur un petit coussin élimé, empile les centimes d'euros dans un range-pièce en échange de bibelots, de livres ou de jouets d'occasion, retapés par les compagnons d'Emmaüs dont il fait partie depuis près de deux ans.

Ancien agent de Claude Makelele, Thierry Henry, Patrick Vieira ou Nicolas Ouédec (« mes plus belles années dans le foot »), il a brassé des millions, touché des commissions à six ou sept zéros, vécu dans les plus grands hôtels, possédé de grandes demeures. Aujourd'hui, il côtoie des familles qui, souvent, appréhendent la fin du mois dès le 5.

Chemise à fleurs, baskets en toile blanche, il roule, à 59 ans, dans une petite Citroën de fonction. Il cogère une vingtaine de salariés et bénévoles, supervise les travaux des appartements des compagnons, les achats pour la cuisine, la douzaine de rotations quotidiennes des deux camions...

Du plus grand luxe à la rue

Un virage social inimaginable du temps de sa splendeur - quand ses joueurs fantasmaient sa villa louée en région parisienne - mais « pas si rare dans le milieu du football », constate son ami Arsène Wenger, un des rares à l'avoir aidé ces dernières années et à avoir accepté de témoigner ici. « C'est difficile à expliquer car il était au sommet de son métier, s'interroge le directeur du développement du football mondial à la FIFA et ancien entraîneur d'Arsenal. J'ai été mis au courant par un ami de ses difficultés, qu'il était même totalement à la rue. »

Car, un jour, il y a bientôt deux ans, l'ancien agent star a garé sa voiture sur le parking de la structure sociale : « On pousse rarement la porte d'Emmaüs pour s'engager, on s'y rend par nécessité, note Frédéric Piazza, responsable adjoint des sites Emmaüs de Nîmes, Alès et Arles. C'était la dernière solution que Marc avait. On l'a accueilli avec une chambre que nous gardons pour les passagers, pour une nuit. Puis il s'est posé. Il s'est présenté comme Marc Roger, citoyen lambda, en galère. Le lendemain, il était compagnon, sans parler de lui, sans se mettre en avant ou raconter son histoire. Comme il a un gros charisme, il est devenu responsable adjoint sur le site d'Alès en juillet. Il a attrapé le virus, même un peu trop (rires). Il aime les rapports humains, il aime aider. »

Entouré de portraits de l'Abbé Pierre, dans ce grand hangar aux murs bleu et vert pastel, Marc Roger, a retrouvé une famille, loin d'un milieu qui l'a usé et transformé physiquement : « Il n'y a pas de coups tordus comme dans le foot, c'est plus sain. Les gens ont souffert ici, ils connaissent la vie, ils ont des valeurs. » Mais le football rôde, le feu brûle encore en lui selon Wenger : « Il sera toujours tenté, il a le foot dans le sang. La passion du foot ne le quittera jamais. »

Mais elle s'est diluée au contact des gens plus modestes, a remarqué Frédéric Piazza : « Il est allé très haut mais il a beaucoup morflé quand même. Je ne dis pas qu'il ne reviendra pas dans le foot, car il le vit au bout des ongles, mais aujourd'hui, il est autant Emmaüs que foot. » On n'est pas obligé de croire l'ancien agent quand il déclare avoir « perdu la passion qu' (il) avai (t) pour le foot, la passion de (s) on enfance » mais quand il évoque son rejet du système actuel, oui : « Je n'ai plus envie. J'ai trouvé un autre équilibre. »

« Les conneries faites, il les paie, et continuera de les payer. Mais cela ne nous a jamais empêchés de lui donner des responsabilités, de lui confier la caisse. »

Frédéric Piazza, responsable adjoint des sites Emmaüs de Nîmes, Alès et Arles 

L'Alésien n'a pas eu le choix, il a tout perdu : « Après plusieurs mois en prison, on voit la vie différemment. C'est une des valeurs d'Emmaüs, on ne juge pas les gens sur leur passé, leurs origines ou leur statut social. » Il n'a pas échappé à son responsable, Frédéric Piazza, que son salarié avait été incarcéré. « Mais ce n'est pas mon problème. J'aime ce métier car, quand les gens arrivent, on ne leur demande rien, ni de raconter leur histoire. Les conneries faites, il les paie, et continuera de les payer. Mais cela ne nous a jamais empêchés de lui donner des responsabilités, de lui confier la caisse. »

Plusieurs passages derrière les barreaux

Quand on tape Marc Roger dans Google, on lit « interpellé », « extradé », « prison »... « Cela fait partie de ma vie. Une amie m'a dit que des sociétés pouvaient nettoyer Google mais je ne m'en suis pas occupé. Des choses sont fausses, d'autres sont vraies. » En septembre 2008, Marc Roger, qui a passé 22 mois de détention préventive en plusieurs fois au cours de cette affaire, a été condamné par la Cour correctionnelle de Genève à deux ans de prison avec sursis pour gestion fautive et faux dans les titres lors de sa présidence du Servette Genève de février 2004 à février 2005. Retour devant la justice, française cette fois, quand il a été accusé, en août 2016, par un ancien associé (le parrain de son fils) de complicité de vol aggravé et complicité d'extorsion. Pour cette affaire, il a été condamné le 4 mai 2022 à neuf mois de prison ferme par le tribunal de Bourg-en-Bresse, peine pour laquelle il a fait appel : « Je ne vais pas me laisser faire par un tribunal aux ordres des Suisses. J'ai fait quatre mois de préventive, les pires mois de ma vie car à cette époque, en 2016, j'avais la garde de mes enfants et j'étais tout seul. Ce n'est pas la meilleure des enfances ou des adolescences, ils ont souffert. J'en veux beaucoup à la justice. En quatre mois, je n'ai jamais rencontré la juge qui devait s'occuper du dossier. Il n'y a pas eu d'instruction. »

Et, malgré ce CV entaché, il est même devenu un peu la star locale : « Évidemment, les autres compagnons me posent des questions, parlent football, veulent savoir si j'ai connu untel ou untel et je leur montre des photos avec Maradona ou de Pelé. » Par son passé médiatique, judiciaire, il n'est pas un compagnon comme un autre, sans pour autant se sentir en décalage avec « des gens simples, sincères, honnêtes ».

Sur ce plan, Mamadou Bakayoko, agent à mi-temps rencontré par le passé, le rejoint : « Cela ne m'étonne pas du tout qu'il ait arrêté le métier d'agent, un métier pourri où tout le monde veut te fusiller. Dans le foot, il n'y a pas beaucoup de gens vrais, ils te sourient par rapport à l'argent que tu as. Je suis content que Marc ait trouvé sa voie, il m'avait donné beaucoup de conseils quand je voulais devenir un top agent. J'ai beaucoup apprécié l'homme car il a été très généreux en conseils, avenant. C'était impossible qu'il reste au sommet car il était trop généreux. Sa générosité l'a tué. »

Sa démesure, aussi, sûrement, quand il était sur le toit du monde, un loup parmi les loups, qu'il avait les clés de tous les grands clubs, faisant et défaisant les carrières, grenouillant toujours un peu. « Borderline », admet-il. Comme le jour où il avait caillassé le pare-brise de son joueur Claude Makelele (avec l'accord de ce dernier) pour précipiter son transfert du Celta Vigo vers le Real Madrid : « On a été loin mais les joueurs ont besoin de quelqu'un pour les défendre et plutôt d'un agent compétent qu'un membre de la famille qui vendait des kebabs la veille ou un voisin de palier. Certains signent des contrats avec le dernier qui a parlé. Le milieu était plus sain avant, j'en suis sûr. »

Retour brutal à la réalité

Il le regarde de loin, un peu, à peine nostalgique des années de faste qui en avaient fait un pionnier de la profession jusqu'à la chute express, définitive sûrement : « Il avait beaucoup de joueurs du top niveau, il avait porte ouverte à Manchester United, au Real, à Arsenal, au Barça, il était en contact avec des gens qui avaient aussi beaucoup d'argent, se rappelle Wenger. Peut-être a-t-il pensé que cela durerait éternellement. »

Avec le recul, il reconnaît cette déconnexion, fatale : « Avant, je ne faisais pas attention, j'étais débordé par mon métier, je ne prenais que des avions privés, je vivais dans des hôtels cinq étoiles, je dormais dans les avions ou les taxis. On perd le sens des réalités, on se réveille et on se couche foot, on fréquente ce qui se fait de mieux ou de plus cher. On ne voit plus ce qu'il y a à côté, on ne voit plus la misère. »

Ni les chausse-trappes dans ce sport dont on oublie qu'il est soumis aux aléas sportifs, qu'il n'a pas su maîtriser lorsqu'il a investi, en 2003, au Servette Genève. « L'erreur de ma vie ». Un club suisse déjà mal en point que la signature de noms ronflants mais sur la jante (Viorel Moldovan, Christian Karembeu, Stéphane Ziani...) n'a pas aidé. La suite ne fut qu'une interminable chute dans « ce milieu dont on connaît l'ingratitude, pointe Wenger. Mais ce n'est pas propre au foot, c'est le cas dans la vie en général. »

 

Sa dégringolade sociale inspire aujourd'hui Mamadou Bakayoko, qui évolue, bénévolement, au sein de l'association « Fight Aid » du Prince Albert de Monaco et organise, le 23 janvier, un match de charité : « Depuis que je suis en lien avec des enfants victimes du Sida, je me sens vraiment utile. Comme à Emmaüs, on travaille avec des gens vrais, qui ne peuvent pas te mettre de disquettes. D'ailleurs, ce n'est pas impossible que j'aille voir Marc pour trouver l'apaisement. »

L'a-t-il trouvé, lui, dans les rayons du magasin où la plupart des clients ignorent son identité ? « Ici, j'ai trouvé du sens. On aide des gens en difficulté, on les voit heureux de venir chez Emmaüs. Sinon, ils ne pourraient pas se meubler ou trouver des vêtements, des livres. C'est comme les Restos du coeur où j'ai également été bénévole : combien de gens auriez-vous dans la rue sans ces organisations ? » Lui, déjà, peut-être.

Son embauche en CDI lui permet de sortir un peu la tête de l'eau, grâce « à un salaire correct. Je suis bien payé, avec des avantages comme la voiture de fonction, je prends les repas du midi avec les compagnons. Sans ça, je ferais autre chose, je retournerais dans les travaux publics où j'ai déjà travaillé. J'ai eu des années difficiles, sans travailler, quand je me suis occupé seul de mes enfants, de 2010 à 2016. J'ai eu des déceptions mais je n'ai jamais été malheureux ».

Wenger dit son « respect pour la façon dont il s'est rétabli, l'utilité qu'il a aujourd'hui. Il a une force de caractère énorme ». Et aucun regret, en dépit de la prison, des faillites : « J'ai des amis avec une stabilité financière plus grande que moi, ils possèdent des dizaines d'appartements à la Grande-Motte, au Grau-du-Roi, des bateaux mais ils me disent : "On n'a pas eu ta vie". La leur est plus sécurisée, ils sont à la retraite alors qu'à 59 ans je vais encore travailler quatre ou cinq ans. Mais j'ai connu Zidane, Makelele, Pelé... » Une vie de dingue, de bout en bout. L'EQUIPE DU 04 JANVIER 2023

CLIC SUR CERTAINES PHOTOS POUR LES AGRANDIR

RECHERCHE ARTICLE OU PERSONNALITE

Stanislas Golinski
Stanislas Golinski
Stanilas Golinski quand il avait 80 ans, toujours fidèle à Nîmes
Stanilas Golinski quand il avait 80 ans, toujours fidèle à Nîmes